Travelling Avant

5 août 2009

FNC 2008 : Tokyo Sonata

Filed under: Drame, Festival du nouveau cinéma 2008 — Marc-André @ 08:49

Tokyo Sonata

Tokyo Sonata

Face à une oeuvre aussi accomplie, je n’irai pas par quatre chemins : Tokyo Sonata, de Kiyoshi Kurosawa, est un coup de coeur absolu. Je dois dire que je suis un inconditionnel de l’oeuvre idiosyncratique de ce cinéaste que l’on a trop rapidement et injustement associé à la vague déferlante du J-Horror, et qui mérite certainement mieux que d’être confiné à la vague horrifique nipponne des dix dernières années. Mais là, il se surpasse et atteint un état de grâce exceptionnel avec cette méditation énigmatique et touchante sur l’éclatement des cellules sociale et familiale du pays du soleil levant.

Plusieurs commentateurs ont affirmé que le réalisateur renouvelait en profondeur son oeuvre et son approche avec ce film, et il est vrai qu’il signe ici une pièce magistrale qui se hisse aisément au sommet de sa filmographie, aux côtés de Cure. Mais n’écoutez pas les propos évoquant un détour du côté du réalisme : Tokyo Sonata n’est en aucun cas à considérer comme une rupture de ton. Au contraire, ce récit d’un père de famille soudainement licencié, qui le dissimule à sa femme et à ses enfants qui sont, eux aussi, en proie à des dilemmes d’ordre existentiel et à des jeux de cache-cache, se déploie en parfaite continuité avec ses oeuvres précédentes. Il se détache toutefois des filiations plus directes avec le cinéma de genre, ce que Kurosawa avait entamé antérieurement dans des oeuvres telles que Charisma et Bright Future, déjà nettement en retrait des poncifs horrifiques attendus. Tokyo Sonata mène ces explorations plus loin, avec un propos social mieux défini : ici, le fardeau des responsabilités professionnelles et le rôle et les aspirations de chacun au sein du noyau familial seront mis à rude épreuve. Chacun, parent, enfant, sera forcé de se redéfinir.

Certes, des cinéastes tels que Laurent Cantet, avec L’emploi du temps, ont déjà exploré avec pertinence des thématiques similaires. Mais Kiyoshi Kuroswawa filme le moment de la fêlure, capte les signes de l’éclatement progressif du modèle nippon et imagine ses retombées, d’une grande puissance symbolique. La radiographie débouche ainsi dans des zones cinématographiques radicalement nouvelles. En explorant les frontières d’un fantastique soudainement plus diffus, quasiment imperceptible, Kurosawa travaille la porosité du réel et l’irrésistible fissure des masques sociaux avec une acuité et un sens du mystère époustouflants, qui n’exclut pas le recours à quelques éléments comiques qui ne font qu’accentuer la fascinante étrangeté de l’ensemble.

Le propos est d’une indéniable actualité, et la mise en scène, admirable d’intelligence. La séquence finale est à elle seule un moment d’anthologie pure qui soulève un frisson et une vague d’émotion. Que vous ayez apprécié ou non les autres films de Kiyoshi Kurosawa, faites-vous un devoir de visionner Tokyo Sonata.

28 juillet 2009

Fantasia 2009 : Breathless

Filed under: Cinéma sud-coréen, Drame, Fantasia 2009 — Marc-André @ 08:05
Breathless

Breathless

Retenez ce titre, et souvenez-vous du nom de Yang Ik-june. À partir d’éléments autobiographiques, ce jeune acteur sud-coréen a écrit, produit, réalisé et interprété le difficile rôle principal de Breathless, un mélodrame réaliste indépendant qui m’a laissé la gorge complètement nouée.

D’une grande dureté physique et verbale mais criant d’authenticité, ce film à la fois accablant et d’une profonde humanité narre la rencontre de deux être blessés. Lui, Sang-hoon, interprété de façon magistrale par le réalisateur, est un petit truand dont les gestes et les paroles sont d’une violence intarissable. Il va croiser Yeon-hee, une adolescente d’abord dégoûtée par son attitude repoussante, mais qui se lie tout de même à lui, trouvant un écho dans sa rage. Deux êtres blessés vont alors tenter un rapprochement improbable, malgré les douleurs affligeantes du passé et les tensions d’une vie familiale aux limites du supportable.

Breathless épate à tous les niveaux : qualité d’une mise en scène sobre et âpre, force et vérité du jeu des acteurs, puissance d’évocation de la misère morale et économique et de ses ravages sur les individus. Aucun doute possible : le cinéma sud-coréen traverse une période d’intense renouvellement qui provient surtout des marges du cinéma commercial, et ce film dévastateur en est l’un des exemples les plus frappants et mémorables.

Acquis par Ciné-Asie, le film sera distribué au Québec au cours de la prochaine année.

14 Mai 2008

Hawaii, Oslo

Filed under: Cinéma norvégien, Drame — Marc-André @ 00:28
Hawaii, Oslo

Hawaii, Oslo

C’est la journée la plus chaude de l’année à Oslo. Leon (Jan Gunnar Roise) se prend pour Forrest Gump et court à perdre haleine dans les rues de la ville, tandis qu’une ambulance transportant un couple et leur enfant file à vive allure. Un accident survient. Deux jeunes garçons sont témoins, tandis que deux autres hommes surgissent et semblent reconnaître le fuyard.

Voilà comment débute, de manière stylisée, énigmatique et vaguement onirique, cette variante norvégienne sur le genre du film choral à la Magnolia et Short Cuts. Est-ce un rêve? Est-ce la prémonition de ce qui suivra? La suite du récit nous le dira, en entrelaçant habilement cinq histoires et le destin d’une dizaine de personnages, en retraçant les événements qui ponctuent cette journée décisive au bout de laquelle leur vie convergera en un point rassembleur.

Le cinéaste Erik Poppe navigue en territoire bien balisé avec cette fresque urbaine et kaléidoscopique structurée de manière entrecroisée. En plus des films phares de Robert Altman et de Paul Thomas Anderson, on pourra reconnaître des éléments narratifs évoquant Crash, Amores Perros, 21 Grams, Free Radicals ou les films de Todd Solondz, pour ne nommer qu’eux. Un bien lourd patronage, on en conviendra. Heureusement, Hawaii Oslo évite la redite et trouve sa voie hors de ces modèles écrasants, grâce à la qualité de l’écriture, centrée sur des personnages convaincants, fort bien défendus par l’ensemble des acteurs, et à la rigueur de la construction, bien menée malgré le caractère inégal de la qualité des histoires individuelles.

Ce faisant, le film évite en grande partie la surenchère et l’ambition démesurée qui caractérisent habituellement ce type de production, et conserve un aspect modeste et humain, en dépit de certaines situations dramatiques artificielles. L’excellent travail effectué par Poppe et son directeur photo Ulf Brantås – qui a notamment collaboré avec Lukas Moodysson pour Fucking Amal, Together et Lilya 4-Ever – privilégie une dimension poétique envoûtante et originale au sein du sous-genre.

Atmosphérique, soignée et admirable sur le plan visuel, voilà une oeuvre digne d’intérêt, qui signale un autre cinéaste à surveiller au sein du paysage cinématographique de la Norvège.

C’est la journée la plus chaude de l’année à Oslo. Leon (Jan Gunnar Roise) se prend pour Forrest Gump et court à perdre haleine dans les rues de la ville, tandis qu’une ambulance transportant un couple et leur enfant file à vive allure. Un accident survient. Deux jeunes garçons sont témoins, tandis que deux autres hommes surgissent et semblent reconnaître le fuyard. Voilà comment débute, de manière stylisée, énigmatique et vaguement onirique, cette variante norvégienne sur le genre du film choral à la Magnolia et Short Cuts. Est-ce un rêve? Est-ce la prémonition de ce qui suivra? La suite du récit nous le dira, en entrelaçant habilement cinq histoires et le destin d’une dizaine de personnages, en retraçant les événements qui ponctuent cette journée décisive au bout de laquelle leur vie convergera en un point rassembleur.

Le cinéaste Erik Poppe navigue en territoire bien balisé avec cette fresque urbaine et kaléidoscopique structurée de manière entrecroisée. En plus des films phares de Robert Altman et de Paul Thomas Anderson, on pourra reconnaître des éléments narratifs évoquant Crash, Amores Perros, 21 Grams, Free Radicals ou les films de Todd Solondz, pour ne nommer qu’eux. Un bien lourd patronage, on en conviendra. Heureusement, Hawaii Oslo évite la redite et trouve sa voie hors de ces modèles écrasants, grâce à la qualité de l’écriture, centrée sur des personnages convaincants, fort bien défendus par l’ensemble des acteurs, et à la rigueur de la construction, bien menée malgré le caractère inégal de la qualité des histoires individuelles. Ce faisant, le film évite en grande partie la surenchère et l’ambition démesurée qui caractérisent habituellement ce type de production, et conserve un aspect modeste et humain, en dépit de certaines situations dramatiques artificielles. L’excellent travail effectué par Poppe et son directeur photo Ulf Brantås – qui a notamment collaboré avec Lukas Moodysson pour Fucking Amal, Together et Lilya 4-Ever – privilégie une dimension poétique envoûtante et originale au sein du sous-genre. Atmosphérique, soignée et admirable sur le plan visuel, voilà une oeuvre digne d’intérêt, qui signale un autre cinéaste à surveiller au sein du paysage cinématographique de la Norvège.

3 février 2008

Secret Sunshine

Filed under: Cinéma sud-coréen, Drame — Marc-André @ 00:58
Secret Sunshine

Secret Sunshine

Cinq ans après l’inoubliable Oasis, le magnifique et très attendu quatrième film de Lee Chang-Dong aura surtout fait parler de lui en raison d’une performance d’actrice renversante, qui a fait tourner toutes les têtes et avec raison.

Judicieusement récompensée de la palme de la meilleure actrice lors du festival de Cannes, Jeon Do-yeon habite de toutes les pores de sa peau le personnage de Shin-ae, pivot central de Secret Sunshine. Ayant déjà été remarquée notamment dans You are my Sunshine et The Untold Scandal, qui lui ont valu la réputation d’être une interprète prometteuse aux multiples talents, Jeon mène son jeu jusqu’à la stratosphère avec ce rôle difficile, fait de perpétuels déchirements, de revirements psychologiques et d’explosions lacrymales. Tout en sueur, en rage et en larmes, son portrait de femme ravagée par le destin laisse le souffle coupé, tant son interprétation, menée au bord de la transe, est bouleversante.

Un peu plus et le brio incontestable de cette performance à tout casser risquerait porter ombrage aux autres qualités – nombreuses, immenses – du meilleur film sud-coréen de l’année : un scénario d’une richesse déroutante, basculant du drame social au thriller sans crier gare, fait de multiples cassures inattendues; une mise en scène sobre, presque effacée, mais nerveuse et inspirée; et des thématiques denses et difficiles – la spiritualité, le travail de deuil, la culpabilité, la rédemption, la résilience – abordées avec une intelligence exceptionnelle.

Secret Sunshine marque ainsi le très grand retour de Lee Chang-dong à la réalisation, après deux années passées à titre de ministre de la Culture de la Corée du Sud. Ce nouveau passage derrière la caméra s’effectue, d’une certaine manière, en rupture avec ses oeuvres antérieures, plus audacieuses sur le plan stylistique, du moins au premier regard. Mais la simplicité apparente de la mise en scène, toute entière au service d’un récit qui réserve de nombreuses surprises, dissimule une complexité retorse que révèle progressivement la succession d’événements.

On admirera également l’audace de Lee sur le plan moral. Celui-ci se permet de questionner des valeurs comme la foi et le pardon, tout en brossant un portrait surprenant de la communauté protestante sud-coréenne, observée avec une distance critique qui se permet d’écorcher au passage le fanatisme et le prosélytisme religieux. Mais Lee Chang-Dong évite soigneusement de glisser dans la simple dénonciation. Son portrait est empreint d’un sens du réalisme et d’une justesse ressentis même lors des scènes paroxystiques qui font bondir et bifurquer l’histoire du côté du mélodrame ou du suspense. Aux côtés d’une actrice fulgurante et emportée, qui s’empare de chaque scène où elle est présente, le toujours remarquable Song Kang-ho excelle dans un rôle secondaire modeste où il déploie une retenue et un registre qu’on lui connaît peu. Il signe pourtant là l’un des meilleurs et plus nuancés rôles de sa carrière, aux antipodes de ses prestations plus flamboyantes, mais avec une candeur et une bonhomie désarmantes.

Tour à tour social, spirituel et viscéral, Secret Sunshine sonde avec une profondeur admirable les aléas de la douleur et la détresse d’une âme que la vie semble avoir abandonné à son sort. Son combat nous brise le coeur, puis vient nous éblouir, comme un rayon de lumière surgissant parmi les ténèbres. Voilà un personnage féminin que nous ne sommes pas prêts d’oublier.

19 novembre 2007

Nue propriété

Filed under: Cinéma belge, Drame — Marc-André @ 00:50
Nue propriété

Nue propriété

D’inextricables et douloureuses dynamiques familiales sont à l’oeuvre dans ce film éprouvant et implacable de Joachim Lafosse. Isabelle Huppert, toujours aussi éblouissante, y joue le rôle de Pascale, une mère qui doit composer avec le caractère difficile de ses deux fils jumeaux. Parvenus à l’âge adulte, ceux-ci continuent de se comporter en véritables adolescents attardés et immatures. La situation est particulièrement délicate avec Thierry (Jérémie Renier, formidable et détestable, dans un de ses meilleurs rôles), un être caractériel et égoïste qui exerce une véritable tyrannie sur ce curieux ménage à trois traversé de rapports de force complexes et marqué par une terrible et insidieuse violence psychologique. Lorsque Pascale jongle avec l’idée de vendre la demeure familiale afin de s’affranchir de cette vie étouffante, elle doit faire face à la réaction démesurément négative de ses fils, et surtout de Thierry, qui rejette avec fracas cette éventualité. Le fragile équilibre de leurs rapports s’en trouvera sérieusement ébranlé.

La maison devient alors l’enjeu et le révélateur de ce qui est en fait un véritable jeu de pouvoir qui s’installe entre une mère déchirée entre son devoir maternel et ses velléités d’émancipation personnelle et un fils qui s’érige en seigneur des lieux à coups d’affronts et d’explosions émotives. Pris entre les deux, l’autre jumeau (Yannick Renier, frère de l’acteur, excellent dans un rôle intériorisé tout en contrastes avec le jeu exacerbé de Jérémie) subit la pression de ces deux pôles dominants. La joute, brutale et insidieuse, est aussi physique que verbale, et se déploie autant dans les non-dits que dans les emportements de chacun. Sur le plan des dialogues, Lafosse et son coscénariste ont composé des répliques percutantes et finement ciselées, ainsi qu’un récit admirablement mené dans les derniers retranchements des dérapages familiaux qui tournent au vinaigre. Le trio d’acteurs est renversant : Huppert, de nouveau sublime, développe un personnage déroutant, à la fois fragile et inébranlable. D’un bloc, imposant et entier, Jérémie Renier lui donne la réplique avec une assurance remarquable. L’interaction avec son frère fictif et réel est d’une véracité époustouflante, en particulier dans leur proximité physique et leur complicité qui vire rapidement à la pagaille.

Enregistrant le choc viscéral de ses protagonistes envahis par leur ressentiment respectif et en conflit ouvert et perpétuel avec les autres membres du clan, la mise en scène de Lafosse est aux antipodes du séisme émotif qu’elle saisit de manière quasi détachée, avec une cruelle attention aux détails. Maîtrisée, constituée essentiellement de longs plans fixes, la réalisation austère et clinique du cinéaste évoque tant le travail des frères Dardenne que celui de Bruno Dumont ou même des premiers films de Xavier Beauvois. Hyperréaliste, soigneusement cadrée, elle met du temps à se révéler tant elle est efficace. Certaines scènes ont une allure quasi documentaire, tant elles respirent l’authenticité, tout en étant rehaussées d’un travail d’orfèvre au niveau de la composition de l’image. Joachim Lafosse dévoile ainsi autant d’aptitudes à saisir l’humain en exposant ses tares et ses faiblesses – le film s’ouvre avec une dédicace éloquente : « À nos limites » – qu’un talent de metteur en scène d’exception. Son regard est celui d’un fin observateur, patient mais impitoyable, avant que la caméra ne prenne son envol, dans une finale lyrique et saisissante, digne de celle de Japon, de Carlos Reygadas.

21 octobre 2007

FNC 2007 : 4 mois, 3 semaines et 2 jours

Filed under: Cinéma roumain, Drame, Festival du nouveau cinéma 2007 — Marc-André @ 12:37
4 mois, 3 semaines et 2 jours

4 mois, 3 semaines et 2 jours

Voilà longtemps qu’une Palme d’or cannoise n’avait proposé une pareille révélation et récompensé une oeuvre aussi audacieuse – on doit peut-être remonter jusqu’à  Rosetta, des frères Dardenne, en 1999, pour retrouver une telle découverte en forme de secousse sismique.

4 mois, 3 semaines et 2 jours est un électrochoc hyperréaliste filmé de main de maître. Une oeuvre terriblement implacable et sans concession, portée par une mise en scène exceptionnelle et de remarquables performances d’acteurs, qui nous cloue à notre siège et qui nous laisse accablé, au terme d’une plongée éprouvante dans la Roumanie de Ceaucescu, deux ans avant la chute du régime, en 1987.

Solidement ancré dans la réalité quotidienne sous le totalitarisme communiste de la fin des années quatre-vingt, qu’il évoque au moyen de petits détails insignifiants mais fort révélateurs (le marché noir, les incessants contrôles d’identité, l’atmosphère de suspicion et de questionnements permanents), le récit de Cristian Mungiu tient pourtant le contexte politique et historique à distance pour aborder le sujet délicat de l’avortement, une pratique illégale en Roumanie à l’époque – et donc éminemment périlleuse.

Concentré en une journée qui prendra la forme d’un véritable voyage cauchemardesque au bout de la nuit, le scénario resserre son étau sur deux jeunes étudiantes, Gabriela (Laura Vasiliu) et Otilia (Anamaria Marinca, absolument formidable). La première a décidé de recourir à l’avortement. Passive et dépassée par les événements, elle compte sur l’aide de son amie, plus dégourdie et combative, afin de mener à terme cette décision difficile. Mais du début à la fin de cette journée, les choses ne tourneront pas comme prévu, et les deux jeunes femmes seront confrontées à une série d’épreuves et de traumatismes qui ne les laisseront pas indemnes.

Mené comme un suspense haletant qui nous réserve de nombreux moments de pure angoisse – dont une longue séquence inoubliable avec un certain M. Bebe, qui glace littéralement le sang – ce drame social renversant repose sur une mise en scène d’une rigueur stupéfiante. La majorité des scènes sont composées de longs plans-séquences où la caméra, fixe et imperturbable, capte le déroulement des événements avec une précision clinique, faisant ressortir l’état de tension qui s’abat sur les personnages avec un grand souci de vérité, et laissant toute la place au jeu des acteurs. Lors de certaines scènes déterminantes où cette tension atteint un paroxysme, Mungiu opte pour un style nerveux et épileptique, où une caméra à l’épaule frénétique et agitée se substitut à l’immobilité glaciale de l’ensemble des scènes, le temps d’une course effrénée nous laissant le souffle coupé.

Chacun de ces plans, tous impeccables dans leur mise en place diabolique de la mécanique du dérèglement vertigineux de la vie de ces jeunes femmes prises dans l’engrenage dangereux et dommageable de l’avortement clandestin, démontre l’incontestable maîtrise du médium cinématographique par ce jeune cinéaste qui surgit de nulle part avec une oeuvre marquante. On a déjà mentionné le nom des frères Dardenne : Cristian Mungiu s’impose déjà, avec son deuxième long métrage, comme un digne héritier du tandem des réalisateurs belges. Son style âpre, dont la cruauté laisse sourdre une humanité bouleversante, nous fait ranger 4 mois, 3 semaines et 2 jours aux côtés des meilleures oeuvres de ces maîtres du réalisme engagé. La maestria de la réalisation, épurée mais dévastatrice, illustre l’horreur dans ce qu’elle a de plus banal, et évite ainsi tout moralisme et toute prise de position face à son sujet. Son film est d’une acuité sidérante face aux implications de l’avortement, mais abordé sur le plan humain et non politique, en exposant de manière viscérale les répercussions physiques et psychologiques que doivent traverser les deux jeunes femmes.

En arrière-fond, le climat d’oppression est brillamment rendu palpable, à travers les multiples difficultés rencontrées. Les rapports entre individus sont d’une brutalité déconcertante, mettant en relief l’aspect impitoyable que peut prendre la moindre activité, automatiquement jugée suspecte. Toutes deux en paieront lourdement le prix, mais le regard du cinéaste se porte en particulier sur Otilia, dont le dévouement envers son amie est mis à rude épreuve.

Ainsi, 4 mois, 3 semaines et 2 jours devient aussi sur un film sur l’amitié et la solidarité, menées dans leurs derniers retranchements, et aussi sur les inégalités sociales et sur leur impact insidieux – révélé le temps de la scène foudroyante d’un repas filmé de manière frontale, l’un des nombreux moments mémorables de cette oeuvre phare de la nouvelle vague du cinéma roumain.

La découverte d’un cinéaste de premier ordre est ici doublée de la révélation d’une actrice de grand talent : Anamaria Marinca, dont la performance tout en intériorité est mémorable. Voilà une expérience de cinéma essentielle, dont on sort renversé.

19 octobre 2007

FNC 2007 : Counterparts

Filed under: Cinéma allemand, Drame, Festival du nouveau cinéma 2007 — Marc-André @ 19:39
Titre original : Gegenüber

Titre original : Gegenüber

Counterparts propose un récit tordu et suffocant qui nous entraîne dans la terrible dynamique d’un couple dont le mari, un policier mollasson, masochiste et hagard, est tyrannisé par sa femme violente et en proie à de graves troubles psychologiques. Leur dynamique perverse et autodestructrice est auscultée par une mise en scène hyperréaliste, froide et clinique, qui expose la terrible brutalité physique et psychologique de leurs rapports.

Glauque et asphyxiant, le film de Jan Bonny prend littéralement le spectateur en otage et le plonge sans répit dans un gouffre d’émotions malsaines au bout duquel ne se trouve que le désespoir et la détresse les plus absolus. Cette terrible évocation est rendue par des acteurs époustouflants de justesse, en particulier l’actrice Victoria Trauttmansdorff, éblouissante dans un rôle particulièrement difficile. Une épreuve de douleur et de désolation dont on sort ébloui et accablé, et un film qu’on n’est pas prêt d’oublier.

16 octobre 2007

FNC 2007 : La question humaine

Filed under: Cinéma français, Drame, Festival du nouveau cinéma 2007 — Marc-André @ 13:15
La Question humaine

La Question humaine

La froide logique comptable des grandes entreprises. Des relents de nazisme. Une paranoïa et un désarroi existentiel prononcés. Des dérèglements psychologiques et des troubles mentaux. Le surgissement des fantômes du passé. Une descente aux enfers vertigineuse. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce film de Nicolas Klotz plonge à pieds joints au sein d’une matière éprouvante et difficile.

Adapté par Elisabeth Perceval à partir du roman éponyme de François Emmanuel, La Question humaine aborde de manière extrêmement sensible, violente et déroutante le chemin de croix d’un psychologue industriel (interprété par un Mathieu Amalric au sommet de son art, littéralement hanté par son personnage, jouant en équilibre sur un fil de fer psychologique fascinant) qui est chargé d’enquêter sur le comportement problématique du grand directeur de l’aile française d’une entreprise allemande de pétrochimie (Michael Lonsdale, absolument fantastique). Celui-ci montre des signes inquiétants de détérioration de santé mentale. L’enquête ouvrira une horrible boîte de Pandore, véritable abîme où se tordent des destins individuels et collectifs, sur fond de mémoire historique perturbée qui le confrontera à ses propres démons intérieurs, bousculant en chemin son propre équilibre et ses certitudes professionnelles.

Amorcé comme une auscultation de la névrose des sociétés capitalistes modernes, le film bascule progressivement dans un maelström psychologique et intellectuel pétri dans une matière extrêmement complexe et touffue, qui fascine tout autant qu’elle épuise et irrite. Férocement personnelle et originale, tout autant charnelle que littéraire, la démarche cinématographique de Nicolas Klotz met constamment le spectateur dans un état de tension déstabilisante, d’inquiétude et de surprise, tant son récit chaotique fuit mystérieusement dans tous les sens, tout en nous malmenant sérieusement en chemin.

Un talent exceptionnel est indéniablement à l’oeuvre, mais certains choix narratifs et esthétiques pourront bousculer les spectateurs habitués à des oeuvres cinématographiques plus molles et consensuelles. À la fois sensuel et brutal, souvent expérimental et opaque, La Question humaine cultive une affectation outrancière et un maniérisme inusité, en particulier dans l’emploi de la musique, extrêmement éclectique (du classique à la techno trance en passant par le fado), ou avec la narration poétique et solennelle d’Amalric lors de certaines scènes.

Il en résulte une expérience de cinéma tendue et viscérale, parfois même conflictuelle et exaspérante, qui est tout sauf conventionnelle. Mémorable et marquant, ce film frappe là où ça fait mal, hante l’esprit et ne nous laisse pas sans séquelles. Autant de signes incontestables nous confirmant que nous sommes devant une oeuvre singulière.

21 juillet 2007

Fantasia 2007 : Sun Scarred

Filed under: Cinéma japonais, Drame, Fantasia 2007 — Marc-André @ 17:55
Sun Scarred (Takashi Miike, Japon, 2006)

Sun Scarred (Takashi Miike, Japon, 2006)

On aura associé des dizaines et des dizaines d’épithètes superlatives à Takashi Miike au cours des dix dernières années, mais on n’aura jamais songé à le qualifier de conventionnel ou de populaire. Ce sont pourtant ces qualificatifs qui viennent en tête en visionnant Sun Scarred, un drame social que l’on pourrait presque associer à un cinéma grand public, tant le maître nippon de la provocation et de l’hystérie iconoclaste opte ici pour une approche linéaire et aborde un sujet tout ce qu’il y a de plus sérieux et grave, à savoir le fléau de la criminalité juvénile et des errements du système judiciaire japonais. Un contraste saisissant avec le très expérimental et poétique Big Bang Love: Juvenile A, tourné la même année. Bien que ce film ne compte pas parmi ses plus grandes réussites, il constitue un exemple de plus confirmant l’étourdissante capacité de renouvellement de ce cinéaste caméléon, à l’aise dans des registres de plus en plus diversifiés.

Miike retrouve Sho Aikawa, un des plus fidèles interprètes de sa filmographie, dans le rôle titre d’un homme faisant beaucoup penser au personnage de Charles Bronson dans Death Wish. Aikawa incarne un honnête travailleur et père de famille sans histoire qui a le malheur de porter secours à une dame qui est agressée par une bande de jeunes voyous. Ayant humiliés ceux-ci, ce pauvre homme verra sa vie basculer lorsque la bande de petites frappes décidera de s’en prendre à sa famille. Une tragédie s’ensuit, insuffisamment punie par la loi. Les conséquences sont terribles pour cet homme, qui décide alors de retrouver les coupables et d’exercer sa propre vengeance.

C’est donc le motif du justicier solitaire, si populaire dans le cinéma américain des années soixante-dix, qui est revisité par Takashi Miike dans un Japon contemporain où une jeunesse insouciante et cruelle terrorise les honnêtes citoyens, tandis que la loi préfère fermer les yeux devant leurs actes criminels. Conjuguant le drame psychologique à portée sociale avec les éléments d’un thriller funèbre qui prend véritablement son envol dans la deuxième partie du film, Miike étonne par l’emploi d’un style sobre, dénué d’expérimentation et de bizarreries, ainsi qu’une construction et un rythme extrêmement traditionnels. Seules quelques séquences en noir et blanc et une finale enlevée sont là pour souligner les préoccupations esthétiques et les obsessions habituelles du cinéaste. Il ne faut toutefois pas se surprendre outre mesure de la tangente adoptée par cette oeuvre d’apparence « mainstream », mais qui l’est beaucoup moins qu’elle en a l’air.

Certes, cette démarche s’inscrit en continuité avec Zebraman et The Great Yokai War, qui annonçaient déjà un Takashi Miike plus accessible. Mais ces deux films se situaient d’emblée dans un registre ludique et fantastique qui est tout à l’opposé de celui de Sun Scarred, résolument ancré dans un réel tragique. Aussi, c’est surtout le volet social de sa filmographie, en particulier les films de la fin des années quatre-vingt-dix, Ley Lines et Rainy Dog en tête, que reconduit cette oeuvre sombre et glacée, qui jette un terrible regard sur une société sans foi ni loi.

Dans Sun Scarred, la violence, élément thématique fondamental de la quasi totalité des films de son auteur, n’est plus un instrument d’agression et de confrontation des limites du spectateur, mais bien une tare nationale endémique et complexe, faisant de tous à la fois des victimes et des agresseurs. Miike en dénonce les ravages, de concert avec une critique de l’impuissance et des dérapages de la loi face aux actes juvéniles répréhensibles, tout comme l’impasse du règlement de compte personnel qui nourrit le cycle de la violence. Aussi, la barbarie de la jeunesse et les moyens désespérés qui sont employés par le personnage principal afin de la contrecarrer sont ultimement renvoyés dos à dos. Voilà une bien singulière et étonnante ironie que ce soit l’une des figures les plus emblématiques de la représentation extrême de la violence au cinéma qui en dénonce ainsi ses manifestations concrètes et leur impact social dévastateur.

Ce qui nous oblige, une fois de plus, à remettre en question les étiquettes simplistes que l’on a pu accoler à Miike au fil des années, en se basant uniquement sur quelques films chocs, épiphénomènes d’une oeuvre incroyablement riche et multiple. Sun Scarred révèle une nouvelle facette de son auteur, aux antipodes de l’absurde, du délire et de l’expérimentation, en tant que citoyen inquiet et soucieux des réalités de son pays. Décidément, Takashi Miike est de plus en plus pertinent, sur tous les fronts.

11 juillet 2007

Fantasia 2007 : After This Our Exile

Filed under: Cinéma hong kongais, Drame, Fantasia 2007 — Marc-André @ 17:40
After This Our Exile (Patrick Tam, Hong Kong, 2006)

After This Our Exile (Patrick Tam, Hong Kong, 2006)

Brisant un silence de plus de 17 ans, l’un des chefs de file de la nouvelle vague hongkongaise des années 80 effectue un retour triomphant à la réalisation avec ce drame familial d’une noirceur implacable. Tourné en Malaisie, le film raconte les déboires d’une femme et de son fils aux prises avec un mari violent, possessif et joueur. Lorsque celle-ci décide de fuir ce milieu invivable, l’enfant est abandonné aux mains de son père irresponsable.

Tous les ingrédients du mélodrame lacrymal sont en place. Mais en véritable artisan sensible et attentif, Patrick Tam évite soigneusement de sombrer dans la démonstration poussive et les excès de sentimentalisme. Il offre un portrait dur, complexe et prenant qui expose à la fois la détresse et l’humanité de chacun des personnages. Le scénario met plus particulièrement l’accent sur les contradictions du père, nullement limité ici aux stéréotypes habituels. Pop star de Hong Kong nous ayant peu habitués à un tel registre, Aaron Kwok offre une performance étonnante dans le rôle du père, doté d’une véritable profondeur tragique. Sa prestation inspirée restera certainement l’un des moments marquants de sa carrière. Gouw Ian Iskandar est lui aussi bouleversant dans le rôle du fils. La qualité du scénario et du jeu des acteurs permet ainsi au film d’offrir une plongée émouvante au cœur des relations père-fils, marquées du sceau de la douleur et d’un irrépressible pessimisme.

Tour à tour stylisée, contemplative et réaliste, la réalisation est au diapason de la noirceur du propos. Tam démontre toute l’étendue de son savoir-faire derrière la caméra, multipliant les angles d’approche, toujours à la hauteur de ses personnages. La direction photo, signée Lee Ping-Bing, fidèle accompagnateur du maître cinéaste taïwanais Hou Hsiao-Hsien, est tout simplement superbe. Ainsi, malgré quelques fautes de goût minimes et aisément pardonnables, notamment du côté de la musique et de certaines scènes au ton quelque peu en rupture avec l’ensemble, on saluera avec enthousiasme le retour de Patrick Tam en tant que réalisateur. Son After This Our Exile est un drame maîtrisé et sensible comme on en voit rarement au sein de la production issue de Hong Kong. Vivement d’autres films de Patrick Tam.

Note : Il existe au moins deux versions différentes de ce film; la version originale de 159 minutes, et la version raccourcie pour sa sortie commerciale à Hong Kong, d’une durée de 120 minutes. Nul besoin de dire que l’on privilégiera la version longue, telle qu’envisagée par l’auteur.

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