Fantasia 2009
Après avoir retrouvé un horaire raisonnable, des heures de sommeil plus acceptables (ou du sommeil tout court!), une saine alimentation et la compagnie de mes proches – des éléments négligés, voire royalement délaissés au cours des dernières semaines, dans l’élan ravageur de folie cinéphile auquel nous convie Fantasia – le moment est venu de dresser le bilan de cette treizième édition de l’événement festivalier de l’été, que dis-je, de l’année.
Avec un succès public qui ne se dément pas – plus de 90 000 spectateurs une fois de plus cette année – environ 115 longs métrages, dont de nombreuses pièces de résistance et deux coups d’éclats majeurs : Thirst, de Park Chan-wook, et Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino, tout autant sinon davantage de courts métrages, des invités des quatre coins du globe et surtout, des projections où règnent une atmosphère jouissive et une communion indescriptible, que l’on ne retrouve nulle part ailleurs, et 40% des séances affichant complet, il ne fait aucun doute que l’édition de 2009 est à marquer d’une pierre blanche. Et la cuvée de films, dans tout ça? D’une réjouissante diversité, elle fut à la fois fidèle à la réputation délinquante, audacieuse et tapageuse de Fantasia, tout en explorant discrètement de nouveaux sentiers qui favorisent un renouvellement nécessaire de la programmation.
Explorons tout d’abord l’artère névralgique du festival : la portion en provenance d’Asie occupe toujours une place centrale, tant aux yeux des programmeurs que de la grande majorité du public festivalier. Mais n’écoutez pas ces commentateurs distraits ou myopes qui croient qu’il n’y a que des films japonais ou chinois à Fantasia : avec 55 longs métrages, le contingent asiatique occupe un peu moins de 50% de la programmation, et laisse une place sans cesse grandissante aux productions nord et sud américaines ainsi qu’européennes (que j’aborderai dans un autre billet).
Bien sûr, l’Asie se taille tout de même la part du lion, et plus particulièrement le Japon et la Corée du Sud, deux piliers exemplaires de résistance nationale envers l’impérialisme hollywoodien. Ces deux cinématographies traversent une période intense de productivité et de créativité, dont cette treizième édition a magnifiquement témoigné.
Breathless
From Korea With Love
Avec une sélection de quinze longs métrages, le cinéma sud-coréen a démontré des signes évidents de vitalité, tant du côté des productions plus commerciales que des oeuvres indépendantes. Trois films très attendus ont donné le ton : le thriller haletant The Chaser a été à la hauteur de l’excellent bouche à oreille dont il a fait l’objet au cours de la dernière année, tandis que Kim Ki-duk, avec Dream, et Park Chan-wook, avec Thirst, ont tous deux partagé les avis, tout en offrant des films qui confirment leur réputation et leur statut de chef de file. Mais davantage que ces incontournables, certes dignes d’intérêt, c’est du côté des nombreuses découvertes que la sélection sud-coréenne m’a le plus épaté, avec une réjouissante diversité de registres et un très haut niveau de qualité d’ensemble. La comédie a fait flèche de tout bois dans plusieurs films, notamment dans Antique, dont le rythme humoristique effréné a littéralement triomphé auprès des spectateurs. L’humour a pris des formes différentes dans Crush and Blush, un curieux objet cinématographique dont la drôlerie pimentée d’étrangeté et l’absurdité teintée de sensibilité féminine m’ont littéralement conquis. Daytime Drinking, une attachante production à micro budget, m’a également ravi par son souci de réalisme et par la qualité de son écriture. L’aspect viscéral si caractéristique du cinéma sud-coréen a enfin triomphé dans deux premiers films renversants : Rough Cut, une palpitante et virtuose mise en abyme du film d’action et des films de gangsters, et le bouleversant Breathless, l’un des sommets du festival, un drame déchirant où Yang Ik-june impose une force implacable à la réalisation, à la scénarisation et à l’interprétation du rôle titre de cette oeuvre marquante. De fait, parmi les onze films sud-coréens que j’ai pu visionner, seul le soporifique Evil Spirit: VIY, une laborieuse et interminable adaptation de la nouvelle de Gogol, dépareillait une sélection époustouflante à tous les égards.
Fine, Totally Fine
Japon, terreau de prédilection
Le Japon n’était pas en reste, avec plus de trente longs métrages au programme, dont une sélection de pinku eiga proposée en collaboration avec la Cinémathèque québécoise. Trois films nippons se sont d’ailleurs faufilés parmi mes cinq préférés du festival, c’est dire à quel point la qualité était au rendez-vous. Vous savez certainement que Love Exposure a constitué l’expérience ultime du festival pour de nombreux cinéphiles, et je me compte parmi les admirateurs inconditionnels de ce monument cinématographique de 237 minutes dont on sort dans un état d’euphorie. Sans l’ombre d’un doute, le sombre et complexe Nightmare Detective 2 s’est avéré moins consensuel. Je fais certainement partie des rares exceptions qui ont adoré cette oeuvre transcendante du grand Shinya Tsukamoto. Elle aura toutefois dérouté la majorité des spectateurs, mais je suis persuadé de la valeur de cette oeuvre qui appelle à de multiples visionnements afin d’en saisir toute la richesse. The Clone Returns Home a pour sa part laissé une véritable émotion fleurir, en plus d’offrir une direction photo, une rigueur plastique et une portée symbolique qu’aucun autre film n’aura su égaler. Cette splendeur contemplative s’inscrit déjà parmi les oeuvres les plus accomplies de l’année.
Devant un tel déluge de films nippons et les inévitables contraintes d’horaire, j’aurai malheureusement manqué Paco and the Magical Book, dont je vous reparlerai, je l’espère, en me rattrapant en DVD au cours des prochains mois. J’aurai toutefois découvert avec délectation Fine, Totally Fine, une irrésistible comédie slacker qui, l’air de rien, se rapproche du cultissime The Taste of Tea, avec son je-ne-sais-quoi d’insaisissable et de réconfortant, tapi sous ses traits humoristiques et bizarroïdes. J’ai aussi eu le grand plaisir de vivre une rencontre du troisième type en visionnant House (prononcez Houuuuuuuuuuse), un trip de champignons hallucinogènes que je serais bien embêté de décrire (je m’y essaierai quand même dans un proche avenir). Cette perle datée de 1977, tendue entre l’expérimentation furieuse et l’exploitation rigolote, est à découvrir absolument.
Autrement, l’increvable et inévitable Takashi Miike a ouvert le festival avec panache grâce à Yatterman, une niaiserie rocambolesque qui s’inscrit parmi les meilleures réussites de sa veine plus commerciale, sans renier sa folie congénitale. Je n’ai pu attraper qu’un seul des nombreux films d’animation japonaise ayant fait partie de la programmation, mais Genius Party Beyond m’a ébloui par ses éclats visuels et par l’avant-gardisme fulgurant de son dessin, malgré un aspect un peu inégal du côté des scénarios de ce film à sketches très relevé. D’autres expériences se sont avérées mitigées : Vampire Girl vs. Frankenstein Girl était certes une séance de minuit jubilatoire, mais il tournait davantage à vide que Tokyo Gore Police, qui a incendié le festival l’an dernier; Instant Swamp n’a pas conquis aussi résolument que le délicieux Adrift in Tokyo, du même Satoshi Miki, en dépit d’excellents moments de comédie et de nombreuses trouvailles loufoques. Dans un registre similaire, mais encore plus échevelé, le déroutant Crime or Punishment?!? gâchait de très intéressantes références kafkaïennes et dostoïevskiennes en s’embourbant dans des élans comiques lourdauds et cabotins. Malgré ces légères déceptions, la cuvée japonaise affichait une admirable diversité et regorgeait de films à voir. Elle s’est avérée, dans l’ensemble et comme toujours, un fait saillant de la programmation, procurant un plaisir qui ne se dément pas.
Ip Man
Hong Kong, Thaïlande et…
L’omniprésence dévorante des délégations de Corée du Sud et du Japon aura mis dans l’ombre la sélection en provenance de Hong Kong, dont on célébrait pourtant le centième anniversaire cinématographique. Deux morceaux de taille ont dominé cette cuvée hongkongaise plutôt décevante : l’incontournable Ip Man, de Wilson Yip, qui renoue brillamment avec les plus belles heures des films d’action hongkongais, et la superproduction The Warlords, qui m’a personnellement laissé plutôt indifférent face à sa grandiloquence appuyée. Les autres films de la sélection étaient essentiellement des films d’arts martiaux, un genre prisé à Fantasia mais qui, pour ma part, m’interpelle moins, surtout lorsque la réalisation est confiée à des tâcherons. Par conséquent, j’ai été personnellement déçu par cette sélection plutôt monolithique et qui aurait gagné à être plus diversifiée, par exemple avec des comédies, des drames ou encore un classique des Shaw Brothers, qui manquaient à l’appel cette année.
Il en va de même pour la Thaïlande, devenu le bastion de l’horreur extrême et du film d’action débridé. Seulement trois productions étaient au menu cette année, dont deux films d’arts martiaux, Fireball et Power Kids, auxquels je n’ai pas pu assister. Souhaitons que les productions thaïlandaises reviennent en force l’an prochain, et que le festival en profite également pour ouvrir ses portes à deux ou trois films en provenance de l’Inde, de la Malaisie ou de l’Indonésie, des cinématographies qui trouveraient certainement leur place au sein du festival.
Malgré ces bémols somme toute mineurs, on peut parler d’une excellente cuvée asiatique totalement dominée par la Corée du Sud et le Japon, et forte de plusieurs oeuvres essentielles. Et ce, sans compter les films qui m’ont échappé…