Carnets Fantasia 2008 : dimanche 13 juillet
À peine remis du paroxysme cataclysmique de la projection de Tokyo Gore Police la veille, après un semblant de nuit de sommeil et un repas approximatif, me voilà de nouveau dans une salle sombre, et c’est reparti de plus belle avec trois autres films japonais. Banzai!
Always: Sunset on Third Street 2 (Takashi Yamazaki, Japon, 2007)
Commençons par Always: Sunset on Third Street 2, suite du mélodrame nostalgique de catégorie supérieure qui nous avait conquis l’an dernier, en plus de nous faire puiser allègrement dans la boîte à mouchoirs. Cette chronique attachante des habitants d’un quartier tokyoïte populaire des années cinquante se poursuit de plus belle avec ce nouvel épisode qui, passé une savoureuse ouverture en forme d’hommage à Godzilla, reprend là où nous avions été laissés à la fin de l’opus original.
On y retrouve avec bonheur tous nos personnages fétiches : le romancier raté, le mécanicien caractériel (impayable Shin’ichi Tsutsumi), la mère de famille dévouée et une ribambelle d’enfants charmants, ainsi que l’atmosphère naïve, joyeuse et attendrissante qui fait tout le charme de ce divertissement qui ferait fondre un cœur de glace. On pourra remarquer quelques redites du côté des péripéties et des procédés dramatiques qui se déploient tout au long de cette fresque ambitieuse quoique dénuée de prétention, mais on ne pourra nier la qualité de la réalisation, impeccable, la remarquable reconstitution historique, qui vaut à elle seule un visionnement, et la réussite de ce complément un peu long mais d’une remarquable cohérence, qui reprend à la perfection la recette initiale.
A Colt is my Passport (Japon, Takashi Nomura, 1967)
On enchaîne avec une rareté en noir et blanc qui nous offre un plaisir cinéphile peu commun. Deuxième incursion dans la rétrospective « No Borders No Limits: 1960s Nikkatsu Action Cinema », A Colt is my Passport est daté de 1967, mais ce polar porté par une inoubliable ritournelle western mélancolique n’a pas pris une seule ride. Son style élaboré et sa coolitude authentique nous éblouissent complètement. La veille, on avait apprécié Velvet Hustler pour son caractère atypique et son personnage principal haut en couleur, mais dans le cas de ce film de Takashi Nomura, un illustre inconnu, on peut parler d’une véritable découverte qui, comme un bon vin, a pris du caractère et de la personnalité au fil des ans.
On peut discerner plusieurs emprunts à la culture occidentale dans cette histoire, somme toute classique mais menée à la perfection, d’un tueur à gages qui se réfugie dans un village portuaire avec son complice, où ils sont aidés dans leur fuite par une femme attachée à leur cause : éléments du film noir américain, avec ses anti-héros et son usage brillant des clairs-obscurs; motifs empruntés au western, avec sa musique lancinante et son duel final anthologique; influence de la nouvelle vague, avec ses cadrages inventifs, sa photographie somptueuse et son sens du montage. Tout cela est repris de brillante manière, et on s’étonne d’apprendre que ce joyau n’a jamais trouvé la reconnaissance qu’il mérite.
Plus de quarante ans après sa sortie commerciale, cette rétrospective permet enfin de lui rendre justice, avec une superbe copie 35 mm. On se réjouira d’apprendre que Criterion a acquis les droits de distribution pour une sortie DVD en 2009. Les inconditionnels de Johnnie To et de Quentin Tarantino trouveront dans ce film un véritable trésor que l’on recommande également à tous les amateurs de cinéma japonais. La tenue d’une telle rétrospective trouve tout son sens avec ce seul film, souvent considéré comme le préféré de la sélection, à bien juste titre.
Be a Man! Samurai School (Tak Sakaguchi, Japon, 2008)
Passons ensuite à la grande salle, où nous attend Tak Sakaguchi. L’acteur et chorégraphe d’arts martiaux que l’on a découvert avec Versus était présent parmi les invités conviés à la mémorable soirée d’hier, mais cette fois, les projecteurs sont braqués sur lui et les spectateurs, nombreux, attendent avidement une bonne ration de sa cuisine : de l’action débridée teintée d’humour et de dérision. Il vient présenter sa première réalisation : Be a Man! Samurai School, une parodie du machisme nippon qui est campée dans une école utilisant une discipline martiale et des châtiments impitoyables afin d’inculquer les fondements de la virilité et de l’honneur à une collection d’énergumènes soumis à un rude apprentissage, parmi lesquels Sakaguchi se donne évidemment le meilleur rôle.
Sans surprise de la part de celui qui a participé à des projets aussi farfelus et cabotineurs que Battlefield Baseball et Cromartie High School, la comédie occupe une large place au sein de cette production amorcée avec beaucoup de fougue, mais qui s’essouffle un peu en cours de route. On patauge allègrement dans le n’importe quoi, la caricature est souvent grossière et l’ensemble ne brille pas par sa cohérence et par son sens du rythme, mais bon, on est venus se dérider un peu et passer un bon moment sans prétention, et c’est exactement ce à quoi on a droit. L’absurde est au rendez-vous, plusieurs gags font mouche et la mâlitude est malmenée avec malice dans cette satire typiquement japonaise.
From Inside (John Bergin, États-Unis, 2008)
Le marathon nippon est terminé. Concluons cette copieuse fin de semaine avec rien de moins que l’apocalypse. On savait que From Inside, le film d’animation de John Bergin, nous promettait une splendeur visuelle ayant les couleurs d’un cauchemar de fin du monde. Et dès les premières images de ce conte macabre d’une rare intensité, on est subjugué. Par la beauté des images d’abord. Par la qualité de la narration ensuite, puis par cette musique atmosphérique qui nous transporte au sein de cette œuvre fort originale, située au croisement du film d’animation expérimental et du récit illustré.
Poétique et allégorique, le voyage est raconté par une femme enceinte prenant place à bord d’un train qui traverse un paysage ravagé par la mort et la dévastation. Son exploration d’un monde détruit emprunte une forme libre, à la manière d’un poème ou de la description d’un rêve. Nous suivons son errance, grandiose métaphore du destin de l’humanité, dans un parcours empreint d’un pessimisme accablant. Effectuant un travail artistique éblouissant, John Bergin insuffle une dimension onirique et méditative inspirée, traversée de plusieurs plans qui laissent le souffle coupé.
Dénué d’effets faciles, sombre et exigeant, From Inside se déploie avec une rigueur glaciale et terrifiante qui récompensera une écoute attentive et détachée de tout préjugé face à un film unique et affranchi des conventions du cinéma d’animation conventionnel. Cette œuvre absolument remarquable marque l’arrivée d’un nouveau talent exceptionnel. La sélection du programme « Animated Auteur Visions », d’une richesse éclatante, s’achève en forme d’apothéose artistique. Sans conteste, voici l’un de mes plus grands coups de cœur du festival.