Travelling Avant

21 octobre 2007

FNC 2007 : Young People Fucking

Filed under: Cinéma canadien, Comédie, Festival du nouveau cinéma 2007 — Marc-André @ 19:50
Young People Fucking

Young People Fucking

Le sexe. Il n’est question que de ça et de rien d’autre (ou presque) dans ce premier film canadien au titre soi-disant cru mais surtout accrocheur, lisse comme une campagne publicitaire, qui aborde la chose sous un angle ouvertement comique, pour ne pas dire totalement superficiel, pour mieux fuir la réalité qu’il scrute sous des abords proprets et bien savonnés.

Ses concepteurs semblent avoir l’impression que leur approche est directe et franche, mais le résultat se révèle surtout platement télévisuel et irrémédiablement bavard. Les amateurs de Sex and the City y retrouveront sans doute de quoi sustenter leurs fantasmes BCBG, tandis que les cinéphiles, eux, pousseront plusieurs soupirs d’ennui, entre quelques sourires à peine esquissés, tant la farce tourne à vide, comme une sitcom autosatisfaite et vite oubliée.

Young People Fucking parle abondamment de cul, mais paraît presque vieux jeu, à une époque où l’on repousse sans cesse les frontières de la représentation sexuelle au cinéma. C’est dire à quel point il explose comme un pétard mouillé. On pourra admirer qu’il évite à la fois de verser dans la représentation explicite à la Shortbus et dans la vulgarité complaisante des niaiseries lubriques prépubères habituelles. Mais pour cela, il aurait fallu davantage de substance. Certes, le film est rigoureusement construit, en six parties qui reproduisent les étapes entourant les ébats de cinq couples hétérosexuels : prélude, préliminaires, sexe, interlude, orgasme et finale post-coïtum. Cinq récits parallèles sont proposés, chacun d’entre eux exposant une réalité à la fois commune et différente de gens dans la vingtaine ou la trentaine : il y a les ex-amoureux qui se retrouvent le temps d’une partie nostalgique de jambes en l’air, le couple un peu blasé et douillet en mal d’inspiration olé olé, les deux amis qui veulent tenter une expérience purement physique, une première rencontre entre un tombeur de femmes et sa plus récente conquête, et enfin un couple un peu pervers composé d’un homme qui souhaite que son colocataire fasse l’amour avec sa copine sous ses yeux.

Tous ces personnages de petits bourgeois sont pourtant interchageables et sans consistance, car réduits à quelques traits grossièrement soulignés. Le cinéaste Martin Gero et son coscénariste Aaron Abrams, également acteur dans le film, exploitent uniquement le potentiel cocasse de leur sujet, dans des scènes occasionnellement désopilantes et légèrement folichonnes qui sont surtout axées sur des dialogues incisifs et humoristiques, ainsi que sur les maladresses et le ridicule qui entourent les hauts et les bas des mouvements du désir.

Young People Fucking est relativement bien écrit et monté, mais le film offre peu de profondeur et de perspective, tant les personnages demeurent prisonniers de leur aspect stéréotypé et du style terriblement convenu de situations, artificielles et unidimensionnelles. La mise en scène est léchée, sans relief et télévisuelle jusqu’à l’agacement. Bref, voilà un produit étonnamment conformiste pour un titre aussi direct, dont l’emballage ne révèle rien de sulfureux ou de bien original.

FNC 2007 : L’avocat de la terreur

Filed under: Cinéma français, Documentaire, Festival du nouveau cinéma 2007 — Marc-André @ 19:24
L'avocat de la terreur

L'avocat de la terreur

Le plus récent film de Barbet Schroeder est un portrait complexe et absolument fascinant de l’avocat Jacques Vergès, personnage hautement controversé qui a joué un rôle déterminant dans plusieurs des procès les plus importants et médiatisés des quatre dernières décennies sur le plan international. De toute évidence fasciné par ce personnage charmeur mais dont les zones d’ombre et les prises de position douteuses sur le plan politique ont de quoi rendre sérieusement perplexe, Barbet Schroeder signe un documentaire génial, inspiré et vertigineux, mais qui nous laisse devant un nombre incroyable de questions, de doutes et de pistes abandonnées en cours de route. Et il est facile de comprendre pourquoi : son sujet est bien vivant, et il a manifestement trempé dans des histoires qui ne sentent vraiment pas très bon.

Car le parcours professionnel de Jacques Vergès, fait de coups de théâtre médiatiques et de prise de position déstabilisantes, ne fait rien pour nous réconcilier avec les nobles idéaux de la justice et de la loi. Après avoir établi sa réputation et sa notoriété au cours des années soixante, en défendant – puis en mariant – une des figures les plus emblématiques du mouvement de la libération algérienne, la terroriste Djamila Bouhired, Vergès aura connu un parcours juridique fortement teinté d’allégeances politiques radicales qui l’associent tantôt au communisme et à l’anticolonialisme, dont il devient une figure de proue, avant de bifurquer vers l’antisémitisme, les mouvements de libération de la Palestine, les débuts du terrorisme islamiste, le néonazisme et on en passe.

Un chemin sinueux, marqué par une disparition mystérieuse de huit ans au cours des années soixante-dix, restée inexpliquée même par le principal intéressé (on croit qu’il aurait séjourné au Cambodge et au Moyen-Orient, mais rien n’est vraiment sûr). Vergès navigue de l’extrême gauche à l’extrême droite, et s’acoquine avec des groupes terroristes arabes, des sympathisants nazis et mêmes les khmers rouges et le régime génocidaire cambodgien de Pol Pot. Un baril de poudre politique ahurissant sur lequel repose le sourire frondeur et impénétrable de cet être provocateur, mystificateur charismatique, fin stratège et insidieux renard qui demeure une énigme de bout en bout, se réclamant de Diderot et défendant Klaus Barbie du même souffle, sans même broncher.

Rigoureusement mené – le déroulement et la construction de ce documentaire sont absolument prodigieux et exemplaires – fourmillant de renseignements parfois contradictoires, de pistes intrigantes, de témoignages stupéfiants et de faits qui viennent se contredire et se compléter à l’infini, L’Avocat de la terreur nous passionne tout autant qu’il nous laisse dans un état de profonde frustration. On ne peut qu’être ébloui par le film et par l’abondante matière qui est évoquée avec maestria – plusieurs des enjeux les plus importants de la deuxième partie du vingtième siècle se déroulent à une vitesse fulgurante sous nos yeux. Mais on aurait évidemment souhaité que le cinéaste creuse davantage les dimensions problématiques du personnage – elles sont nombreuses, évidentes et extrêmement inquiétantes, mais elles ne sont qu’évoquées, bien qu’elles soient éloquentes – notamment ses visites secrètes en ex-RDA, documentées par la Stasi allemande, et en Hongrie communiste. On sent que Barbet Schroeder se garde bien de véritablement dénoncer ou de porter un jugement définitif sur Vergès.

Aussi, il n’égratigne qu’en surface ce manipulateur de première envergure, le laissant distiller son oeuvre de séduction empoisonnée. Son arrogance indomptable jette continuellement de la poudre aux yeux afin de mieux cacher l’horreur de ses implications indéfendables avec les Klaus Barbie, Slobodan Milosevic et le négationniste Roger Garaudy – on évoque à peine le premier et on ne parle même pas des deux autres, alors qu’il y a là des faits accablants qui pèsent lourdement dans la balance.

Mais voilà sans doute de la matière beaucoup trop explosive pour un film qui en dévoile déjà beaucoup. Et c’est peut-être justement là le génie du cinéaste, qui montre suffisamment de faits accablants et qui expose la nébulosité indiscernable des propos du personnage afin de mieux mettre en valeur son aspect trouble et ignoble, sans en rajouter dans la dénonciation. Vergès y va ainsi de ses commentaires totalement évasifs de dandy rayonnant et imperturbable qui passe sous un silence odieux les pires affinités et mensonges, tandis que ses relations douteuses avec des criminels notoires sont justifiées au nom du droit à la défense. Schroeder se permet tout de même, dans un contrepoids heureux et nécessaire, de souligner sa complicité avec le terroriste Carlos et le sympathisant nazi François Genoud, ce qui a de quoi donner froid dans le dos.

Documentaire marquant et essentiel monté comme un thriller au suspense palpitant, L’Avocat de la terreur porte très bien son titre, tandis que son sujet se dérobe sous nos yeux, le temps d’une démonstration époustouflante qui déploie un vaste écran de fumée témoignant des horreurs du vingtième siècle. Un film essentiel et dérangeant, à voir sans faute.

FNC 2007 : 4 mois, 3 semaines et 2 jours

Filed under: Cinéma roumain, Drame, Festival du nouveau cinéma 2007 — Marc-André @ 12:37
4 mois, 3 semaines et 2 jours

4 mois, 3 semaines et 2 jours

Voilà longtemps qu’une Palme d’or cannoise n’avait proposé une pareille révélation et récompensé une oeuvre aussi audacieuse – on doit peut-être remonter jusqu’à  Rosetta, des frères Dardenne, en 1999, pour retrouver une telle découverte en forme de secousse sismique.

4 mois, 3 semaines et 2 jours est un électrochoc hyperréaliste filmé de main de maître. Une oeuvre terriblement implacable et sans concession, portée par une mise en scène exceptionnelle et de remarquables performances d’acteurs, qui nous cloue à notre siège et qui nous laisse accablé, au terme d’une plongée éprouvante dans la Roumanie de Ceaucescu, deux ans avant la chute du régime, en 1987.

Solidement ancré dans la réalité quotidienne sous le totalitarisme communiste de la fin des années quatre-vingt, qu’il évoque au moyen de petits détails insignifiants mais fort révélateurs (le marché noir, les incessants contrôles d’identité, l’atmosphère de suspicion et de questionnements permanents), le récit de Cristian Mungiu tient pourtant le contexte politique et historique à distance pour aborder le sujet délicat de l’avortement, une pratique illégale en Roumanie à l’époque – et donc éminemment périlleuse.

Concentré en une journée qui prendra la forme d’un véritable voyage cauchemardesque au bout de la nuit, le scénario resserre son étau sur deux jeunes étudiantes, Gabriela (Laura Vasiliu) et Otilia (Anamaria Marinca, absolument formidable). La première a décidé de recourir à l’avortement. Passive et dépassée par les événements, elle compte sur l’aide de son amie, plus dégourdie et combative, afin de mener à terme cette décision difficile. Mais du début à la fin de cette journée, les choses ne tourneront pas comme prévu, et les deux jeunes femmes seront confrontées à une série d’épreuves et de traumatismes qui ne les laisseront pas indemnes.

Mené comme un suspense haletant qui nous réserve de nombreux moments de pure angoisse – dont une longue séquence inoubliable avec un certain M. Bebe, qui glace littéralement le sang – ce drame social renversant repose sur une mise en scène d’une rigueur stupéfiante. La majorité des scènes sont composées de longs plans-séquences où la caméra, fixe et imperturbable, capte le déroulement des événements avec une précision clinique, faisant ressortir l’état de tension qui s’abat sur les personnages avec un grand souci de vérité, et laissant toute la place au jeu des acteurs. Lors de certaines scènes déterminantes où cette tension atteint un paroxysme, Mungiu opte pour un style nerveux et épileptique, où une caméra à l’épaule frénétique et agitée se substitut à l’immobilité glaciale de l’ensemble des scènes, le temps d’une course effrénée nous laissant le souffle coupé.

Chacun de ces plans, tous impeccables dans leur mise en place diabolique de la mécanique du dérèglement vertigineux de la vie de ces jeunes femmes prises dans l’engrenage dangereux et dommageable de l’avortement clandestin, démontre l’incontestable maîtrise du médium cinématographique par ce jeune cinéaste qui surgit de nulle part avec une oeuvre marquante. On a déjà mentionné le nom des frères Dardenne : Cristian Mungiu s’impose déjà, avec son deuxième long métrage, comme un digne héritier du tandem des réalisateurs belges. Son style âpre, dont la cruauté laisse sourdre une humanité bouleversante, nous fait ranger 4 mois, 3 semaines et 2 jours aux côtés des meilleures oeuvres de ces maîtres du réalisme engagé. La maestria de la réalisation, épurée mais dévastatrice, illustre l’horreur dans ce qu’elle a de plus banal, et évite ainsi tout moralisme et toute prise de position face à son sujet. Son film est d’une acuité sidérante face aux implications de l’avortement, mais abordé sur le plan humain et non politique, en exposant de manière viscérale les répercussions physiques et psychologiques que doivent traverser les deux jeunes femmes.

En arrière-fond, le climat d’oppression est brillamment rendu palpable, à travers les multiples difficultés rencontrées. Les rapports entre individus sont d’une brutalité déconcertante, mettant en relief l’aspect impitoyable que peut prendre la moindre activité, automatiquement jugée suspecte. Toutes deux en paieront lourdement le prix, mais le regard du cinéaste se porte en particulier sur Otilia, dont le dévouement envers son amie est mis à rude épreuve.

Ainsi, 4 mois, 3 semaines et 2 jours devient aussi sur un film sur l’amitié et la solidarité, menées dans leurs derniers retranchements, et aussi sur les inégalités sociales et sur leur impact insidieux – révélé le temps de la scène foudroyante d’un repas filmé de manière frontale, l’un des nombreux moments mémorables de cette oeuvre phare de la nouvelle vague du cinéma roumain.

La découverte d’un cinéaste de premier ordre est ici doublée de la révélation d’une actrice de grand talent : Anamaria Marinca, dont la performance tout en intériorité est mémorable. Voilà une expérience de cinéma essentielle, dont on sort renversé.

20 octobre 2007

FNC 2007 : Continental, un film sans fusil

Filed under: Cinéma québécois, Festival du nouveau cinéma 2007 — Marc-André @ 12:56
Continental, un film sans fusil

Continental, un film sans fusil

Un homme se réveille dans un autobus immobilisé et déserté au beau milieu de nulle part, sur le bord d’une route. Il fait nuit. Il descend, hagard. Des bruits étranges se font entendre. Puis, inexplicablement, il s’enfonce dans la forêt environnante.

C’est ainsi que débute, de manière énigmatique, presque fantastique, ce singulier premier long métrage de Stéphane Lafleur, couronné de louanges et de prix lors de son passage aux prestigieux festivals de Venise, de Toronto et de Namur. Et quel plaisir de se retrouver devant une véritable oeuvre, d’une maturité étonnante pour un si jeune cinéaste qui a déjà fait ses armes comme monteur, réalisateur de courts métrages et chanteur-guitariste au sein de la formation folk-lo-fi Avec pas d’casque. Lent, minimaliste, contemplatif et résolument anti-commercial, Continental, un film sans fusil fait figure d’exception au sein du paysage cinématographique québécois, trop souvent platement consensuel et télévisuel. C’est tout le contraire ici, et on s’en réjouit.

Si on veut trouver un proche parent québécois à ce Continental, ce serait peut-être Sur la trace d’Igor Rizzi, qui avait révélé un autre jeune talent très prometteur en la personne de Noël Mitrani. Les deux films partagent un souci similaire d’épure, une approche minimaliste aux accents européens ainsi qu’une profonde mélancolie. Mais tandis que le film de Mitrani jongle avec les codes du film de genre, celui de Stéphane Lafleur est tout entier campé dans la banalité morose d’une réalité quotidienne d’où émane le terrible poids de la solitude et de l’ennui, thématiques centrales du film.

Continental se construit en un enchaînement de vignettes réunissant quatre personnages principaux aux prises avec l’aliénation de leur vie sans éclat et avec les vicissitudes qu’ils traversent sur les plans professionnel et personnel. Lucette (Marie-Ginette Guay), une hygiéniste dentaire, vit difficilement la disparition soudaine de son mari. Louis (Réal Bossé) tente de devenir vendeur d’assurances et doit vivre dans un hôtel, éloigné de sa famille. Chantal (Fanny Malette), réceptionniste à ce même hôtel, est une jeune fille maladroite qui souffre de solitude chronique. Enfin, Marcel (Gilbert Sicotte) est aux prises avec un problème de dents qui le confronte à ses difficultés financières et à la vieillesse qui le gagne.

Quatre individus ordinaires, petites gens malhabiles dans leur manière de communiquer et d’interagir avec les autres, souffrant des affres provoquées par la monotonie de leur existence, un peu pathétiques dans leurs gestes dérisoires et leurs paroles hésitantes, souvent seuls avec eux-mêmes. Leurs pas vont se croiser, par hasard, le temps d’un rapprochement magnifiquement symbolisé par le titre, et renvoyant à cette danse quétaine qui cristallise l’état de leurs aléas, parallèles et synchronisés dans leur petitesse et leur détresse, à proximité d’autrui mais confinés à leur solitude, dans un élan morne, témoin de leur lassitude et du fardeau de leur condition, et qui ne permet aucun véritable contact.

Mais le regard que porte le cinéaste sur ces quatre individus anonymes et modestes est dénué de toute forme de jugement et de cynisme. Il est tout au contraire imprégné d’une grande tendresse et d’un profond sens de la compassion. Et c’est là que se situe toute l’originalité de la démarche de Lafleur. Car si on décèle de nombreuses influences à l’oeuvre dans Continental, le film a le mérite de se distinguer de celles-ci au moyen d’un ton résolument personnel. Certes, l’approche formelle témoigne d’une sensibilité cinématographique davantage européenne que nord américaine. Lafleur a certainement fréquenté l’oeuvre d’Aki Kaurismaki, de Roy Andersson et d’Ulrich Seidl, pour ne nommer qu’eux, car le choix esthétique de longs plans fixes, des situations captant le malaise et l’inconfort, de la construction fragmentée en une série de tableaux composés avec un soin remarquable et du ton mâtiné d’absurde de l’ensemble renvoient à ces trois modèles, ainsi que plus largement à tout un pan du cinéma scandinave.

Lafleur s’inscrit d’emblée au sein de cet héritage que d’aucuns qualifieront d’austère, mais qui apporte une grande rigueur et une incroyable pertinence à son travail de réalisation. D’un professionnalisme remarquable, la mise en scène tire une grande force expressive de l’immobilité du cadre. Très personnelle malgré ses sources d’inspiration évidentes, la signature de Lafleur est perceptible dans chacun des plans magnifiquement photographiés par Sara Mishara. Son sens du détail tant sonore que visuel est foudroyant. Son oeil s’attarde sur tous les menus détails anodins qui sont pourtant les plus puissants révélateurs du drame intérieur de chacun des personnages : des gros plans sur un dentier, une photo rafistolée, un répondeur brisé, une carte d’affaires avec une faute, chacun des objets et des éléments du décor dévoile l’émotion et un aspect de la personnalité de son détenteur avec une justesse exceptionnelle. Le travail sonore est encore plus stupéfiant. Les bruits avoisinants, les musiques environnantes – le plus souvent abrutissantes – et la cacophonie ambiante sont enregistrés avec une acuité ininterrompue. Seules quelques notes occasionnelles viennent s’ajouter en de rares moments à cette composition auditive hyperréaliste et absolument brillante, qui constitue à elle seule l’un des traits les plus insolites et inventifs du film.

J’ai mentionné plus tôt l’héritage filmique nordique que porte Continental. Le film de Lafleur est toutefois profondément ancré dans la spécificité québécoise, plus particulièrement dans la vie de banlieue, qu’il évoque avec une précision impressionnante. On reconnaît immédiatement ces bazars poussiéreux et figés dans une époque révolue, ces hôtels de bord d’autoroute, ces musiques complètement ringardes et ces bribes de conversation approximatives qui témoignent de la grande authenticité de la démarche de Lafleur. Un grand sens de l’humour – celui qui permet d’éviter de sombrer dans le désespoir – traverse le film, tout en absurdité et en finesse, loin des gags abrutis d’humoristes imbéciles que le cinéma québécois nous dessert trop souvent. Un brin caustique, illustrant le caractère ridicule des situations, son trait comique ne se prolonge jamais jusqu’à atteindre une verve décapante ou cinglante. Car c’est avec une sincère émotion que ses personnages sont captés dans leurs mésaventures et leurs faux pas. Aussi, le rire vire souvent au jaune, ou se distille lentement lors d’une scène, le temps que l’on saisisse un détail qui fait surgir notre sourire.

Il ne faut donc pas se surprendre de voir le film noyé sous une chape grise et tristounette, comme ce climat automnal qui s’abat sur ces âmes errantes. Une mélancolie jamais appuyée, à peine perceptible sous les traits fatigués de ces quatre personnages en mal d’une bouée de sauvetage et qu’ils ne parviennent pas à trouver. Les dialogues, impeccables et réduits au minimum, attestent eux aussi de la lassitude morale des personnages, confinés à un registre platement insignifiant qui les empêche de véritablement communiquer les uns avec les autres. Prisonniers des lieux communs du discours, renforcés et révélés par l’omniprésence des paroles vides de la télé et de la radio que l’on entend souvent en arrière-plan, ils tentent un rapprochement, puis se rétractent, à la manière de la danse du titre.

Tout cela est rendu par un formidable quatuor d’acteurs qui ont parfaitement compris le ton unique du film de Lafleur et qui proposent des compositions tout simplement remarquables. Gilbert Sicotte est particulièrement émouvant et méconnaissable dans un rôle fragile et intériorisé qui nous fait sentir toute la tragédie du sentiment de vieillir. Fanny Malette est parfaite en jeune femme un peu timide et gauche, tandis que Réal Bossé fait des merveilles avec son personnages d’apprenti vendeur d’assurances et que Marie-Ginette Guay étonne dans le rôle de l’épouse éplorée. Les rôles secondaires sont tout aussi réussis et savoureux, notamment celui interprété par Marie Brassard.

Grâce à la qualité de l’interprétation et à la brillante précision de la mise en scène, il se dégage ainsi une grande humanité de ce film triste mais sans excès, dénué de la moindre fausse note, et qui frappe en plein coeur. Continental est une remarquable réussite cinématographique et l’un des meilleurs et plus originaux films québécois des dernières années. Il marque la naissance d’un cinéaste qu’on suivra certainement de très près.

FNC 2007 : My Winnipeg

Filed under: Cinéma canadien, Festival du nouveau cinéma 2007 — Marc-André @ 12:23
My Winnipeg

My Winnipeg

Qui d’autre que l’inimitable Guy Maddin pour nous intéresser à un film portant sur la ville de… Winnipeg?

L’un des plus ingénieux et inspirés cinéastes canadiens nous convie à un voyage au coeur de sa ville natale, à la fois follement aimée et terriblement détestée. Les premières images nous montrent un homme fiévreux et paranoïaque, quittant – fuyant, plutôt – la ville à bord d’un train. Est-ce Guy Maddin lui-même? Cet homme nous racontera son histoire personnelle, entremêlée des grands épisodes marquants de sa ville natale, prenant la forme de la confidence exaltée et du règlement de comptes effréné.

Une concoction d’une bizarrerie irrésistible surgira de ses souvenirs, contaminés par son imaginaire fantasque et un délire onirique transformant l’aliénation en épopée humaine aux accents fantasmagoriques. Il en résulte une oeuvre totalement unique et indescriptible, empruntant à l’autobiographie, au documentaire et au surréalisme le plus fantaisiste et insolite que l’on puisse imaginer. Certes, on reconnaît dans chaque plan la signature du réalisateur de Brand Upon The Brain!, qui signe ici son film le plus personnel et intimiste, détournant la matière documentaire vers la quatrième dimension de son univers : hommage au cinéma muet et à l’expressionnisme allemand, noir et blanc et style vieillot au charme suranné, traitement déformé de l’image et montage effréné sont toujours au rendez-vous, mais l’approche et le ton sont férocement originaux.

Narré de manière incantatoire par Maddin lui-même, au moyen d’un monologue jubilatoire et poétique – monologue qui tient de la performance, brillante récitation qui peut être perçue comme une oeuvre à part entière – le récit est une évocation des particularités de la ville manitobaine, parfois solidement documentées et appuyées par des images d’archives, et à d’autres moments complètement délirantes et farfelues. On apprend ainsi que Winnipeg est la ville comptant le plus grand nombre de somnambules au monde, et qu’elle a été le théâtre de nombreux événements marquants et insolites, notamment des séances de spiritisme païen tenues à la mairie (!?!) et des catastrophes historiques, transformées en de véritables tragédies fantastiques sous le regard halluciné de Maddin. Par exemple, l’incendie d’un hippodrome ayant laissé les chevaux en fuite prisonniers dans la glace, avec ses images fulgurantes de carcasses figées dans les paysages enneigés. La disparition du magasin Eaton et la démolition du Colisée de Winnipeg sont soulignées le temps de séquences inoubliables – on aura rarement vu un hommage au hockey aussi colossal et vibrant – sans mentionner les nombreuses péripéties vécues par la famille du cinéaste, filmées tour à tour comme des situations burlesques, grotesques ou mélodramatiques, à la manière de feuilletons télé ou de films hollywoodiens, qui imprègnent la vision du narrateur.

Les thèmes chers à Maddin, tous reconduits de façon magistrale, s’incarnent ici de manière beaucoup plus précise, au moyen d’un hommage ému et transporté à sa mère et à l’ensemble de sa famille, dont il recrée la dynamique avec des mises en abyme tour à tour loufoques, cinglantes et attendries.

On comprendra qu’on a affaire ici à tout sauf à un documentaire conventionnel. D’une richesse infinie, My Winnipeg est un accomplissement remarquable qui laisse le souffle coupé, une oeuvre unique qui est très certainement l’un des sommets de ce grand artiste.

FNC 2007 : La France

La France

La France

Un titre extrêmement prétentieux pour le lauréat du prix Jean-Vigo 2007. Cette improbable évocation de la Première Guerre mondiale nous fait suivre le chemin d’une jeune femme (Sylvie Testud) qui se déguise en homme et qui se joint à un régiment parcourant la campagne française afin de retrouver son mari parti au front.

Souhaitant manifestement apporter un peu de fraîcheur et d’originalité au genre très codifié du film de guerre, le critique de cinéma et réalisateur Serge Bozon a privilégié une approche à la fois lyrique et âpre, où une reconstitution minimaliste et sèche mais très littéraire de la vie de soldat est ponctuée de numéros musicaux inattendus. Le résultat est une sorte d’élégie pacifiste saluant la dignité humaine.

Très efficace sur le plan de la mise en scène, forte de nombreux plans superbes, le film est malheureusement plombé par son style affecté et très agaçant. La coquetterie du prétexte scénaristique manque de crédibilité : on ne croit pas une seule seconde que ces gens sont des soldats, et encore moins au subterfuge de cette femme déguisée. Le jeu des acteurs, distancié et inexpressif, est un autre irritant majeur – on n’aura jamais vu un Pascal Greggory aussi terne et éteint. Les passages chantés sont d’un ridicule consommé – on a droit à une version désagréable et ronflante des Beach Boys s’en vont en guerre, sur fond de bric-à-brac folklorique mâtiné de pop british mal assimilée. Certes, l’approche est plus poétique que réaliste, mais elle ne justifie pas de telles boursouflures maniérées et maladroites.

19 octobre 2007

FNC 2007 : Counterparts

Filed under: Cinéma allemand, Drame, Festival du nouveau cinéma 2007 — Marc-André @ 19:39
Titre original : Gegenüber

Titre original : Gegenüber

Counterparts propose un récit tordu et suffocant qui nous entraîne dans la terrible dynamique d’un couple dont le mari, un policier mollasson, masochiste et hagard, est tyrannisé par sa femme violente et en proie à de graves troubles psychologiques. Leur dynamique perverse et autodestructrice est auscultée par une mise en scène hyperréaliste, froide et clinique, qui expose la terrible brutalité physique et psychologique de leurs rapports.

Glauque et asphyxiant, le film de Jan Bonny prend littéralement le spectateur en otage et le plonge sans répit dans un gouffre d’émotions malsaines au bout duquel ne se trouve que le désespoir et la détresse les plus absolus. Cette terrible évocation est rendue par des acteurs époustouflants de justesse, en particulier l’actrice Victoria Trauttmansdorff, éblouissante dans un rôle particulièrement difficile. Une épreuve de douleur et de désolation dont on sort ébloui et accablé, et un film qu’on n’est pas prêt d’oublier.

FNC 2007 : Yella

Filed under: Cinéma allemand, Festival du nouveau cinéma 2007 — Marc-André @ 13:11
Yella

Yella

C’est à une véritable énigme, mystérieuse et opaque, que nous convie ce film très singulier de Christian Petzold. Yella est une jeune femme persécutée par un ancien copain envahissant et violent. Elle cherche à refaire sa vie et quitte sa ville natale pour Hanovre, où elle a déniché en emploi de comptable. Mais une série d’événements et d’accidents énigmatiques vont ponctuer son parcours, tandis qu’elle est hantée par des images et des sons qui envahissent son esprit.

Froid et austère comme le sujet qu’il aborde – le récit est campé dans le monde stratégique et impitoyable des affaires – Yella est traversé d’un secret quasi impénétrable et qui pourra fasciner ou exaspérer le spectateur, selon la part de crédibilité qu’il accordera à de nombreuses situations aux apparences étranges, voire invraisemblables – mais de toute évidence voulues ainsi par le cinéaste.

Car plus on avance, plus on se perd dans ce mystère glacé tout entier construit autour du personnage central de Yella, figure troublée par une relation traumatique qui a marqué son esprit. Il faudra être très attentif pour extraire le suc de cette oeuvre qui échappe à un regard distrait. Son personnage principal, très bien interprété par l’actrice Nina Hoss, possède la clé de cet univers codé, quelque part entre le rêve, le cauchemar et la distorsion fantasmée.

Porté par une mise en scène rigoureuse, insolite et fuyant, très trouble sous ses apparences lisses et chirurgicales, ce film hante l’esprit et laisse dérouté.

18 octobre 2007

FNC 2007 : I’m a Cyborg, But That’s OK

Filed under: Cinéma sud-coréen, Comédie, Festival du nouveau cinéma 2007 — Marc-André @ 19:43
I'm a Cyborg, But That's OK

I'm a Cyborg, But That's OK

Après son ambitieuse trilogie de la vengeance, Park Chan-wook s’offre une parenthèse ludique avec cette comédie déjantée et débridée, sorte de One Flew Over the Cuckoo’s Nest en mode caricatural, désopilant et délirant qui met en scène deux personnages excentriques et fantasques internés dans un asile d’aliénés.

La rencontre improbable de deux personnages bizarroïdes est au coeur du récit. Elle (Lim Soo-jung, découverte dans le magnifique A Tale of Two Sisters) se prend pour un robot, porte un dentier et parle à des machines distributrices. Lui (la pop star Rain, dans son premier rôle au cinéma) est cleptomane compulsif, joue au lapin, porte un masque et tourne autour d’elle. Ils établissent une étrange complicité, tandis qu’autour d’eux s’agite toute une galerie d’hurluberlus fêlés du cabochon.

Aux antipodes du style sombre et viscéral de ses oeuvres précédentes, cette romance colorée ponctuée de séquences oniriques savoureuses est construite autour d’une succession de saynètes loufoques et bordéliques qui permettent à son créateur de déployer toute son inventivité visuelle. Les trouvailles de mise en scène pullulent, les couleurs sont flamboyantes et la direction photo offre de superbes compositions chatoyantes.

La folie baroque de la mise en scène, forte d’un esthétisme très travaillé et d’une très belle direction artistique, est toutefois soutenue par un scénario plutôt mince, sorte d’esquisse du grotesque qui table uniquement sur le registre du délire et de l’amusement. Le ton est bizarre, souvent enfantin voire puéril. Le jeu des acteurs est volontairement outrancier et excessif, à la limite du cabotinage, et les situations deviennent redondantes dans une deuxième partie un peu moins inspirée. Ce qui nous laisse sous l’impression que le film est certes divertissant, farfelu et inventif, mais un peu vide et superficiel sous son enrobage coloré.

En somme, I’m a Cyborg, But That’s OK se profile comme une oeuvre mineure et légère dans la filmographie d’un cinéaste toujours aussi brillant sur le plan visuel, accompagnée d’une excellente trame sonore. Park a le mérite de ne pas se répéter et d’emprunter des sentiers inédits, mais on souhaite qu’il retrouve sa virulence et sa causticité dans ses oeuvres subséquentes.

FNC 2007 : Anna M.

Filed under: Cinéma français, Festival du nouveau cinéma 2007 — Marc-André @ 19:15
Anna M.

Anna M.

Voilà une sérieuse claque que l’on n’attendait pas. Porté par une performance remarquable d’Isabelle Carré, ce drame psychologique prend la forme d’un thriller menaçant qui explore le phénomène de l’érotomanie. Un sujet difficile et peu connu, et un portrait violent et troublant d’une femme au déséquilibre psychologique avancé et qui se découvre une passion amoureuse incontrôlée et pathologique pour un médecin (Gilbert Melki) dont elle envahira la vie avec une insistance obsessionnelle et maladive.

Anna M. est un uppercut psychologique d’une puissance dévastatrice qui tire le meilleur d’une éblouissante composition d’actrice. Isabelle Carré est stupéfiante dans un rôle physique, hystérique et extrêmement exigeant. Certaines situations et réactions pourront sembler hautement invraisemblables, mais le film de Michel Spinosa possède une indéniable force, et est admirablement mis en scène.

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