Carnets Fantasia 2008 : 9 juillet
Voilà une semaine que Fantasia bat son plein, et pas l’ombre d’une petite fatigue en vue, malgré les projections qui s’accumulent à une vitesse effarante – plus d’une vingtaine, déjà, pour votre humble serviteur. Et ça ne fait que commencer. La rétine accumule les images chocs, le cerveau s’imprègne d’univers insensés qui valsent et qui s’entremêlent, bref, c’est la joie totale, tout cela en bonne compagnie. Car Fantasia, ce n’est pas seulement une sélection hallucinante de films triés sur le volet, c’est aussi un moment unique à partager entre amis, dans une ambiance festive, conviviale et hautement agréable. Les salles sont pleines, et la cuvée 2008 compte déjà plusieurs moments forts et quelques films mémorables.
Peur(s) du noir (France, 2007)
Chaque journée offre son lot de surprises et de riches expériences cinéphiles, mais ce mercredi est tout simplement éblouissant. J’amorce la journée avec l’une des sélections les plus attendues de la série « Animated Auteur Visions » : Peur(s) du noir, une anthologie macabre provenant de l’Hexagone. Et quel délice que cette concoction de fantastique et d’étrange, sans conteste l’une des plus merveilleuses révélations du festival jusqu’à maintenant.
Composée de quatre sketches principaux entrecoupés de deux intermèdes faisant le pont entre les récits, l’un réflexif et intellectuel, l’autre viscéral et morbide, cette oeuvre fascine et éblouit du début à la fin. Les films à sketches sont souvent inégaux, mais Peur(s) du noir évite admirablement cet écueil en soignant l’atmosphère, riche et prenante, et en exploitant à merveille le motif du noir, tant sur le plan visuel que thématique. L’ensemble est absolument admirable au niveau artistique, et trouve un fabuleux appui avec la collaboration des Arthur H, Guillaume Depardieu et Nicole Garcia à la narration. Chacune des six créations vaut le détour, propose un monde singulier et soulève notre admiration sur le plan graphique. Amateurs d’animation et d’histoires fantastiques à la Maupassant et Edgar Allan Poe, prenez note. Coup de coeur.
Idiots and Angels (Bill Plympton, États-Unis, 2008)
La séance suivante établit une belle continuité et nous comble de nouveau. Bill Plympton est en ville afin de présenter son petit dernier, et ceux qui, comme moi, ont eu la chance de voir I Married a Strange Person, Hair High et plusieurs de ses courts métrages au cours des années à Fantasia, savent que ce brillant dessinateur est une figure incontournable du cinéma d’animation, avec qui il fait toujours bon de renouer.
Cette fois, il nous présente Idiots and Angels, et si l’on reconnaît immédiatement le style inimitable de Bill Plympton, on constate que la rumeur est fondée : on peut parler d’un changement de registre significatif. Sans qu’il y ait rupture avec ses projets antérieurs, le propos est plus sombre, la dimension dramatique accentuée et les résonances sociales plus évidentes. Voilà sans nul doute son projet le plus poétique, qui raconte la transformation d’un salaud dont la vie est bouleversée lorsqu’il découvre que des ailes poussent inexplicablement dans son dos. Ce point de départ surréaliste permet à Plympton de composer un récit fantasque et ludique truffé de résonances symboliques. Ce faisant, il réduit la dimension grotesque de ses oeuvres antérieures – elle est encore là, ne vous en faites pas – pour mieux aborder de nouveaux rivages qui collent à merveille avec son style, qui n’aura jamais apparu aussi personnel. En plus d’être un accomplissement indéniable sur le plan artistique, Idiots and Angels constitue un sommet pour cet animateur hors pair. Souhaitons que ce très beau film lui ouvre la voie d’une plus grande reconnaissance, qu’il mérite grandement.
The Most Beautiful Night in the World (Daisuke Tengan, Japon, 2008)
La barre est haute pour la dernière projection de la journée, après deux films aussi superbes et achevés. Place à un film japonais de 160 minutes : The Most Beautiful Night in the World. Ça risque d’être long? Pas du tout. Son réalisateur est Daisuke Tengan, fils du grand Shohei Imamura, et scénariste de l’inoubliable Audition. Le film promet sur papier – il est question des secrets que cache le village qui compte le plus haut taux de natalité au Japon – mais on ne s’attendait certainement pas à une claque aussi monumentale et jubilatoire.
Sur les traces subversives de son père, ce digne héritier d’Imamura nous propose une fable complètement délirante qui s’achève dans une apothéose sexuelle baroque faisant exulter les spectateurs présents. Le film s’amorce lentement, installe bien l’atmosphère et ses personnages, avant de nous propulser dans une quatrième dimension jouissive où le réalisme magique et un érotisme débridé occupent une place prépondérante.
Avec son propos social éclairé, son humour dévastateur et son savoureux message libertaire, Tengan compose une fresque iconoclaste qui brasse joyeusement le conservatisme nippon, avec une égale dose de provocation bien dosée et de comédie folichonne. Une pépite cinématographique remarquable qui ne ressemble à rien d’autre, sinon aux derniers films de son regretté père, dont il reprend ici le flambeau avec une assurance et un culot impressionnants. Voilà l’un des joyaux cachés de cette douzième édition. Coup de coeur et très forte recommandation, qui achève cette journée en apothéose!