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Théâtre du grotesque et de la misère humaine dans ce qu’elle a de plus affligeant, le cinéma de Ulrich Seidl est fait d’une égale dose de provocation choquante, d’humanisme voyeuriste et d’acuité documentaire. C’est avec un immense bonheur que l’on retrouve cet univers toujours aussi singulier et impitoyable, avec ce récit parallèle de deux protagonistes effectuant un parcours géographique opposé. D’un côté, une infirmière ukrainienne quitte sa famille et son pays en direction de l’Autriche, dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure, mais son expérience est ponctuée de déboires et d’emplois aliénants où elle est exploitée sans vergogne. Effectuant le trajet inverse, un autrichien criblé de dettes et incapable de conserver un emploi file vers l’Est en compagnie de son beau-père pathétique et lubrique, qui y voit une occasion d’assouvir des fantasmes sexuels sordides.
Deux personnages principaux à la vie désolante, qui cherchent une issue à leur condition sociale mais dont la quête n’est qu’une succession de malheurs et d’épreuves au bout desquels se trouve bien peu d’espoir. Fidèle à son approche si caractéristique, intacte et plus cinglante que jamais, Ulrich Seidl filme avec un grand souci de naturalisme documentaire et de composition formelle toute une galerie de personnages paumés – dont la plupart sont joués par des non-professionnels – avec un mélange déroutant de sensationnalisme pervers, d’empathie et de détachement quasi chirurgical. Plusieurs scènes suscitent un rire incontrôlé et presque coupable chez le spectateur, devenu le témoin de la détresse et de l’indigence de personnages captés dans leur intimité et dans leurs moments de faiblesse ou de désarroi. Les situations, parfois très laides et repoussantes, souvent bizarres mais d’une authenticité indéniable, nous présentent ces individus sous divers angles dégradants, nous donnant la désagréable mais fascinante impression d’être des voyeurs privilégiés face à ce que l’humain souhaite habituellement dissimuler : la solitude, les affres psychologiques, les affronts et les humiliations.
Cinéaste extrêmement doué, Seidl parvient encore une fois à susciter simultanément le malaise et l’attendrissement. Son style frontal agit souvent en confrontation avec le spectateur, qu’il cherche manifestement à choquer et à dérouter. Comme il l’avait fait dans Dog Days, il expose de manière crue et brutale une sexualité dépravée, de laquelle il a évacué toute forme d’érotisme, pour n’en garder que l’aspect terriblement banal et dégoûtant, exposant ainsi les effets déshumanisants des fantasmes sexuels masculins. Parallèlement, le réalisme documentaire de plusieurs scènes vient questionner notre morale et notre rapport à des sujets essentiels : ici, ce sont la maladie, la vieillesse et la mort, en particulier dans les séquences filmées dans un hôpital gériatrique, et que certains spectateurs pourront trouver complaisantes, mais qui m’apparaissent d’une vérité époustouflante.
Poursuivant inlassablement l’exploration de ses thématiques de prédilection, ce brillant anatomiste du désespoir nous livre un autre grand film porté par un incomparable talent de metteur en scène.