Devenue en une dizaine d’années l’une des cinématographies les plus remarquées à l’échelle mondiale, la Corée du Sud démontre des signes de grande vitalité cette année à Fantasia. Certains commentateurs ont pu récemment faire état d’un essoufflement de la vague sud-coréenne à la suite de la réduction des quotas réservés aux productions locales, un système qui avait favorisé le formidable essor de l’industrie du cinéma sud-coréen. Les cinéphiles seront toutefois rassurés de constater qu’un grand nombre de jeunes cinéastes continuent d’émerger et qu’un renouveau est en cours, comme on a pu le constater au festival avec l’excellent thriller The Chaser et la surprenante comédie noire Crush and Blush, deux moments forts de cette édition. La maison de distribution Evokative a, quant à elle, déniché deux savoureuses perles indépendantes : la désopilante comédie réaliste Daytime Drinking (voir mon compte rendu), et maintenant ce remarquable film d’action nourri de références cinéphiles : Rough Cut, aisément l’une des plus jouissives sélections de l’année.
Première réalisation d’un protégé de Kim Ki-duk, présent en tant que producteur et coscénariste, Rough Cut se déguste, au premier degré, comme une excellente combinaison de comédie, de film de bastonnades (une spécialité sud-coréenne notoire) et d’intrigues liées au monde des jo-pok, l’univers très typé des gangsters du pays. Tout cela a déjà été vu mille fois dans nombre de productions sud-coréennes, de Friend à City of Violence, mais Rough Cut se distingue brillamment par l’utilisation de procédés de mise en abyme reliés au principe du film dans le film.
Le scénario propose un passionnant face à face entre un criminel et un acteur. Connu pour ses frasques et son tempérament insupportable, Soo-ta doit trouver un partenaire pour jouer dans un film où il tient la vedette. Mais son étoile médiatique entachée fait en sorte que personne n’est intéressé à lui donner la réplique. Il décide donc d’offrir le rôle à un vrai truand, qui n’entend pas à rire. Ce dernier accepte le rôle, à condition que les combats ne soient pas simulés, mais bien réels. Le (faux) film y gagnera en authenticité, mais surtout, en chaos, car ce choix va évidemment occasionner un tournage rocambolesque, ainsi que nombre d’imprévus bordéliques.
L’exploration de jeux de miroir entre réalité et fiction, milieu criminel et imitation cinématographique avait déjà été effectuée dans le remarquable A Dirty Carnival, présenté à Fantasia en 2007 (compte rendu). Mais Rough Cut exploite ce filon de manière fort différente et très inspirée, avec des résultats fantastiques. Le cinéaste Jang Hun se permet des salves humoristiques cinglantes envers l’industrie cinématographique sud-coréenne : le star system, les managers de vedettes et la folie des fans en prennent pour leur rhume, tout comme les conditions de tournage, évoquées avec un sens impeccable de la comédie ironique, notamment par le biais de l’hilarant personnage du (faux) réalisateur, dénommé Bong – serait-ce une allusion au (vrai) cinéaste de The Host?
Rough Cut se situe résolument sur le terrain du divertissement, mais une utilisation intelligente et bien dosée des effets de mise en abyme ainsi que des personnages bien campés par de très bons (vrais) acteurs lui confèrent un sacré caractère et une originalité qui permettent de le hisser dans une classe à part. Une acquisition de taille pour Evokative, il s’agit d’une oeuvre incontournable pour les amateurs de cinéma sud-coréen. À surveiller de près lors de sa sortie.