Travelling Avant

27 octobre 2006

FNC 2006 : La tourneuse de pages

Filed under: Cinéma français, Festival du nouveau cinéma 2006, Thriller — Marc-André @ 20:22
La tourneuse de pages

La tourneuse de pages

Excellente surprise que ce cinquième film de Denis Dercourt, qui révèle un talent cinématographique qu’on était loin de lui soupçonner. Cet ancien musicien et professeur de conservatoire devenu cinéaste utilise à merveille un milieu qu’il connaît parfaitement – celui de la musique classique – pour nous proposer un thriller psychologique machiavélique qui repose sur une construction impeccable et un sens étonnant du suspense. Pour tout dire, La Tourneuse de pages est une réussite que l’on n’attendait pas, dans un registre noir et cruel qui place soudainement Denis Dercourt du côté de Claude Chabrol.

Le scénario, diabolique et pervers à souhait, mais tout en demi teintes, raconte la vengeance orchestrée par une apprentie pianiste (Déborah François, découverte dans L’Enfant, des frères Dardenne) ayant échoué son examen d’entrée au conservatoire à cause de la directrice du jury (Catherine Frot), une célèbre professeure et pianiste qui lui fait perdre son sang-froid lors de l’audition. Dix ans plus tard, la jeune fille se fait engager par le mari de la pianiste (Pascal Greggory), en tant que tourneuse de pages pour celle-ci. On sait qu’elle cherchera à se venger; ce qu’il reste à découvrir, c’est comment.

On ne saurait trouver meilleure personne que Denis Dercourt pour explorer les affres que vivent ces musiciens tourmentés par le trac, les risques de blessures physiques et l’obsession maladive de la réussite et de la performance parfaite. Le cinéaste connaît manifestement ce milieu et les gens qui le composent sous toutes leurs coutures, et il confère une authenticité des plus évidentes à la mise en situation et à l’arrière-plan social et professionnel du film. La mise en scène est elle aussi réglée au quart de tour, à la manière d’une sonate, et épouse un classicisme au diapason de l’univers bourgeois et codé qu’elle transpose à l’écran. C’est avec une grande économie de moyens et d’effets et pratiquement sans maniérisme que le cinéaste aborde le milieu musical, au moyen d’un regard particulièrement acide et cinglant. D’évidence, Dercourt a affiné son art.

Mais plus qu’un film sur la musique, La tourneuse de pages est un thriller, et un solide de surcroît, explorant le milieu de la musique sous l’angle des classes sociales (en lointain écho à La Pianiste, de Haneke), et offrant une brillante variation glaciale sur le thème éculé de la vengeance. Dans le rôle d’une jeune vengeresse énigmatique et insaisissable, Déborah François continue d’impressionner, dans un registre fort différent de celui de son premier rôle au cinéma. Pour sa part, Catherine Frot est toujours aussi impeccable. Les deux actrices abordent leurs personnages avec nuance et justesse, menant cette relation imprévisible dans de fascinantes zones troubles.

Devenu le temps d’un film l’émule inattendue du Chabrol de La Cérémonie et de Merci pour le chocolat, Denis Dercourt effectue un passage remarquable du coté du thriller. Souhaitons qu’il poursuivre sur cette voie.

FNC 2006 : Les amitiés maléfiques

Filed under: Cinéma français, Festival du nouveau cinéma 2006 — Marc-André @ 19:56
Les amitiés maléfiques

Les amitiés maléfiques

Il est le fils de l’éminent sociologue Pierre Bourdieu, et scénariste d’Arnaud Desplechin. Avec cette bouleversante exploration des rapports de force qui conditionnent les interactions d’un groupe d’étudiants de littérature, il peut aussi être désormais considéré comme l’un des cinéaste français les plus essentiels de l’heure. Avec son deuxième long métrage, Emmanuel Bourdieu nous offre une véritable leçon de cinéma qui restera longtemps gravé en mémoire.

Au coeur de cette oeuvre sensible et nerveuse, défilant à tombeau ouvert, se trouve la figure fascinante d’André Morney. Ce jeune homme pourvu d’une érudition redoutable (Thibault Vinçon, absolument stupéfiant) est un brillant orateur et manipulateur d’idées iconoclaste qui a tôt fait d’ensorceler deux nouveaux étudiants sur qui il exerce rapidement un ascendant envahissant. De la figure de mentor, il passe rapidement à celle de mythomane et de terroriste intellectuel qui a tôt fait d’exercer une emprise totale sur ses nouveaux amis, à la fois envoûtés par son charisme et castrés par le contrôle qu’il exerce sur leur pensée et bientôt, sur leur entourage et sur leur vie.

Morceau de bravoure intellectuelle mené à la manière d’un thriller, Les Amitiés maléfiques confirme l’immense talent d’écriture d’Emmanuel Bourdieu. Au niveau des dialogues d’abord, ciselés de main de maître. Les mots d’esprit fusent de toutes parts avec un sens du rythme et un degré d’érudition impressionnants. Scénariste émérite, Bourdieu campe ses personnages avec une grande force de conviction. Rarement aura-t-on une représentation aussi juste du milieu littéraire universitaire et de la jeunesse intellectuelle au cinéma. Il offre également une fine analyse de l’imposture et de la manipulation intellectuelle, des velléités obsessionnelles de reconnaissance, de la terreur psychologique et de la complexité des rapports sociaux et personnels qui s’établissent entre ces jeunes gens.

Il faut ajouter à cette virtuosité sur le plan du scénario une réalisation épousant parfaitement l’aspect passionné et fulgurant de ce portrait intellectuel. La caméra nerveuse tournoie autour des personnages et illustre à la perfection le climat à la fois envoûtant et inquiétant qui entoure la figure de Morney. Mais c’est incontestablement le jeu de l’ensemble des acteurs qui achève de faire de ce film une oeuvre aussi formidable. Jacques Bonaffé, Natacha Régnier, Malik Zidi et Alexandre Steiger sont tous excellents dans leurs rôles respectifs, mais c’est Thibault Vinçon qui emporte le morceau et qui s’impose comme la véritable révélation de ce film. Son portrait d’un individu trouble et destructeur est tout simplement bouleversant.

Les Amitiés maléfiques est un véritable triomphe d’intelligence et d’érudition sensibles qui est dénué de la prétention et de la suffisance qui entachent trop souvent la représentation des milieux littéraires et philosophiques. Amateurs de littérature et de philosophie, voilà un visionnement qui s’impose sans attendre.

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